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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/355

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

monie. Monsieur, seul, y était tout à fait à son avantage. Il portait une physionomie ouverte, contente, s’identifiait avec la population, saluait amicalement et familièrement comme un homme qui se trouve chez lui et au milieu des siens. Le cortège se terminait par un autre bataillon de la garde qui renouvelait l’impression produite précédemment par ses camarades.

Je dois avouer que, pour moi, la matinée avait été pénible de tous points et que les habitants de la calèche n’avaient pas répondu aux espérances que je m’étais formées. On m’a dit que Madame, en arrivant à Notre-Dame, s’était effondrée sur son prie-Dieu d’une façon si gracieuse, si noble, si touchante, il y avait tant de résignation et de reconnaissance tout à la fois dans cette action qu’elle avait fait couler des larmes d’attendrissement de tous les yeux. On m’a dit aussi qu’en débarquant aux Tuileries, elle avait été aussi froide, aussi gauche, aussi maussade qu’elle avait été belle et noble à l’église.

À cette époque, Madame, duchesse d’Angoulême, était la seule personne de la famille royale dont le souvenir existât en France.

La jeune génération ignorait ce qui concernait nos princes. Je me rappelle qu’un de mes cousins me demandait ces jours-là si monsieur le duc d’Angoulême était le fils de Louis XVIII et combien il avait d’enfants. Mais chacun savait que Louis XVI, la Reine, madame Élisabeth avaient péri sur l’échafaud. Pour tout le monde, Madame était l’orpheline du Temple et sur sa tête se réunissait l’intérêt acquis par de si affreuses catastrophes. Le sang répandu la baptisait fille du pays.

Il avait tant à réparer envers elle ! Mais il aurait fallu accueillir ces regrets avec bienveillance : Madame n’a pas su trouver cette nuance ; elle les imposait avec hauteur et n’en acceptait les témoignages qu’avec sécheresse.