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LE GRAND-DUC CONSTANTIN

pas cadencé quelques instants avec elle. Puis on en change. Ordinairement ce sont les femmes, je crois, qui abandonnent les cavaliers ; mais ici c’étaient les princes qui prenaient l’initiative pour pouvoir faire politesse à plus de monde. Pendant la promenade, ils parlaient constamment à leur dame ; et, comme l’empereur Alexandre était fort grand et très sourd, quand la femme était petite il se tenait courbé, ce qui était plus obligeant que gracieux.

C’est au milieu de ce bal que parut pour la première fois à Paris le duc de Wellington. Je le vois encore y entrer, ses deux nièces, lady Burgersh et miss Pole, pendues à ses bras. Il n’y eut plus d’yeux que pour lui, et, dans ce bal, pavé de grandeurs, toutes s’éclipsèrent pour faire place à la gloire militaire. Celle du duc de Wellington était brillante, pure et accrue de tout l’intérêt qu’on portait depuis longtemps à la cause de la nation espagnole.

Ce fut à ce même bal que le grand-duc Constantin, après le départ de l’empereur Alexandre, demanda une valse. Il commençait à la danser lorsque sir Charles Stewart fit taire l’orchestre et lui demanda de jouer une anglaise désirée par lady Burgersh aux pieds de laquelle il était enchaîné.

Le chef d’orchestre hésita, regarda le grand-duc et continua la valse.

« Qui a osé insister pour faire jouer cette valse ? demanda sir Charles.

— C’est moi, répondit le grand-duc.

— Je commande seul chez moi, monseigneur. Jouez l’anglaise. »

Le grand-duc se retira fort courroucé et fut suivi de tous les russes. Cela fit grand bruit et il fallut que les autorités s’en mêlassent pour raccommoder cette sottise.