Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/366

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
359
MONSIEUR DE BLACAS

tes, et dont la malignité des spectateurs tirait parti. On a dit dans le temps qu’il y avait intention de sa part, mais je ne le crois pas. Monsieur le duc de Bourbon aurait fait les honneurs du palais s’il avait su s’y prendre, mais il y avait apporté toute sa timide gaucherie d’émigration. Il présentait alors madame de Reuilly comme sa fille et réclamait de toutes les femmes qu’il connaissait leurs bontés pour elle. C’était sa phrase banale et que je lui ai entendue répéter à vingt personnes dans la même soirée. On était au reste fort disposé à les accorder, ces bontés, car madame de Reuilly était parfaitement aimable et elle avait le maintien, les formes et la conduite d’une femme de la meilleure compagnie.

Nous nous aperçûmes promptement que les grands services rendus par monsieur de Talleyrand offusquaient monsieur de Blacas. Lui seul gouvernait le Roi et il ne voulait admettre aucun partage à cet empire. Les préventions de la famille royale, peut-être justifiées par la conduite précédente du prince de Talleyrand, mais que les événements récents auraient dû effacer, ne servaient que trop bien les vues du favori. Tout le monde vit bientôt ce que Monsieur de Talleyrand lui-même avait reconnu dès sa visite à Compiègne. Des obligations, trop publiques pour être niées, gênaient le Roi, et il n’avait de crédit et de force à espérer qu’en les puisant au dehors des Tuileries. Il ne chercha pas à se faire l’homme de la France, car, elle aussi, avait de trop grandes préventions contre lui, mais il essaya de se rendre indispensablement nécessaire par son influence sur les étrangers.

Dans son désir de s’émanciper du contrôle de monsieur de Talleyrand, monsieur de Blacas aurait voulu se faire une clientèle des gens un peu distingués du pays. Plus modéré, moins exclusif que les autres émigrés rentrés avec le Roi, loin de faire à mon père un tort de n’avoir