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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/378

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LES FEMMES ANGLAISES

pendant le plus fort de la désastreuse épidémie du choléra, j’arrivai un matin chez la duchesse de Laval ; le duc de Luxembourg, son frère, et le duc de Duras s’y trouvaient. Je venais de recueillir de la bouche du baron Pasquier, qui y avait assisté, le récit de la mort de monsieur Cuvier, tombé victime du fléau qui décimait la capitale. Il avait témoigné à cet instant suprême de toute la hauteur de son immense distinction intellectuelle et d’une force d’âme conservée jusqu’au dernier soupir sans exclure la sensibilité. Mon narrateur était profondément ému et m’avait fait partager son impression.

J’arrivai chez la duchesse toute pleine de mon sujet et je répétai les détails que je venais d’apprendre. Les deux ducs écoutaient négligemment. Enfin monsieur de Luxembourg se penchant vers monsieur de Duras lui demanda à mi-voix :

« Qu’est-ce que c’est que ce monsieur Cuvier ?

— C’est un de ces monsieur du jardin du Roi », reprit l’autre.

L’illustre Cuvier est un des monsieur du jardin du Roi ! Je demeurai confondue. Hélas ! hélas ! me disais-je, que de pareils propos dans la bouche des capitaines des gardes, des gentilshommes de la chambre, des intimes du roi de France expliquent tristement le voyage de Cherbourg ! L’Europe nous enviait la gloire de posséder Cuvier, et la Cour des Tuileries ignorait jusqu’à son existence. Les deux ducs étaient du pavillon de Flore, comme monsieur de Puységur du pavillon de Marsan. —

Nous avions vu arriver successivement un assez grand nombre de femmes anglaises. J’ai déjà dit combien leur costume paraissait étrange ; mais je fus encore bien plus étonnée de leur maintien. Les dix années qui venaient