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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

selle Monbadon se fit apporter les papiers et, satisfaite de cette inspection, épousa monsieur de Blagnac.

Ajoutant un léger bagage au portefeuille où elle enferma les parchemins généalogiques, elle s’embarqua dans la diligence, avec son mari, et arriva à Paris. Sa première visite fut pour Chérin ; elle lui remit ses papiers, le pria de les examiner scrupuleusement. Quelques jours après, elle revint les chercher et obtint l’assurance que la filiation de monsieur de Blagnac avec la branche de Durfort-Lorge était complètement établie. Elle s’en fit délivrer le certificat, et commença à se faire appeler Blagnac de Civrac. Elle écrivit au vieux maréchal de Lorge pour lui demander une entrevue. Elle lui dit très modestement n’être qu’en passant à Paris ; elle croyait que son mari avait l’honneur de lui appartenir. De si loin que ce pût être, c’était un si grand honneur, un si grand bonheur qu’elle ne voulait pas retourner dans l’obscurité de sa province sans l’avoir réclamé. Si elle osait pousser sa prétention jusqu’à être reçue une fois par madame la maréchale, sa reconnaissance serait au comble. Le maréchal se laissa prendre à ces paroles doucereuses, sans trop reconnaître la parenté sur laquelle elle n’insista pas. Elle fut admise à faire une visite. Elle s’y conduisit adroitement. Elle obtint la permission de revenir pour prendre congé, elle revint. Le départ était retardé, elle revint encore. Elle ne partit pas du tout. Bientôt la maréchale en raffola ; assise sur un petit tabouret à ses pieds, elle travaillait à la même tapisserie et devint habituée de la maison. Le mari ne paraissait guère. Un jour, son crédit étant déjà établi, elle entendit parler légèrement de l’état de garde du corps ; elle leva la tête avec une mine étonnée. Quand elle fut seule avec les de Lorge, elle dit : « Monsieur le maréchal, j’ai peur que, dans notre ignorance provinciale, nous ne soyons coupa-