moi, mais je serai très heureux de vous y offrir une place.
— Mais, monsieur le marquis, je ne suis pas seul, j’ai mon fils avec moi et même ma cuisinière que je ramène.
— Hé bien, monsieur, il y aura une place pour vous et votre monde. »
Le Corse se confondit en remerciements. Le vent changea au bout de quelques jours pendant lesquels il vint fréquemment voir mon père. On s’embarqua. Lorsqu’on servit le dîner, auquel mon père invita les passagers composés de quelques officiers de son régiment et des deux Corses, il chargea un officier, monsieur de Belloc, d’appeler le jeune homme, vêtu de l’habit de l’École militaire, qui lisait au bout du bateau. Celui-ci refusa. Monsieur de Belloc revint irrité, il dit à mon père :
« J’ai envie de le jeter à la mer, ce petit sournois, il a une mauvaise figure. Permettez-vous, mon colonel ?
— Non, dit mon père en riant, je ne permets pas, je ne suis pas de votre avis, il a une figure de caractère ; je suis persuadé qu’il fera son chemin. »
Ce petit sournois, c’était l’empereur Napoléon. Et, cette scène, Belloc me l’a racontée dix fois : « Ah ! si mon colonel avait voulu me permettre de le jeter à la mer, ajoutait-il en soupirant, il ne culbuterait pas le monde aujourd’hui ! » (Il est inutile d’avertir que ce propos d’émigré se tenait longtemps après.)
Le lendemain de l’arrivée à Ajaccio, monsieur Buonaparte le père, accompagné de toute sa famille, vint faire une visite de remerciements à mon père. C’est de ce jour qu’ont commencé ses relations avec Pozzo di Borgo. Mon père rendit une visite à madame Buonaparte. Elle habitait à Ajaccio une petite maison des meilleures de la ville, sur la porte de laquelle était écrit en coquilles d’escargot : Vive Marbeuf. Monsieur de Marbeuf avait