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RENCONTRE DE LA REINE

nationaux. Mon petit cœur se gonfla à cet aspect et je me mis à sangloter. La Reine s’agenouilla, appuya son visage contre le mien et les voila tous deux de mes longs cheveux blonds, en me sollicitant de cacher mes larmes. Je sentis couler les siennes. J’entends encore son « paix, paix, mon Adèle » ; elle resta longtemps dans cette attitude.

Tous les spectateurs étaient émus, mais il fallait l’incurie de l’enfance pour oser le témoigner dans ces moments où tout était danger. Je ne sais si cette scène fut rapportée, mais la Reine ne revint plus à Bellevue, et c’est la dernière fois que je l’ai vue autrement que de loin pendant mon séjour aux Tuileries. J’ai conservé de ce moment une impression qui est encore très vive. Je peindrais son costume. Elle était en Pierrot de linon blanc, brodé en branches de lilas de couleur, un fichu bouffant, un grand chapeau de paille dont les larges rubans lilas flottant se rattachaient par un gros nœud à l’endroit où le fichu croisait.

Pauvre princesse, pauvre femme, pauvre mère, à quel affreux sort elle était réservée ! Elle se croyait bien malheureuse alors, ce n’était que le commencement de ses peines ! Son fils, le second Dauphin, l’avait accompagnée à Bellevue, et il jouait avec mon frère dans le sable. Les gardes nationaux se mêlaient à ces jeux, et les deux enfants étaient trop jeunes pour en être gênés. Je ne m’en serais pas approchée pour l’empire du monde. Je restai près de la Reine qui me tenait par la main. On m’a dit depuis qu’elle s’était crue obligée d’expliquer à sa suite que le premier Dauphin m’aimait beaucoup, qu’elle ne m’avait pas vue depuis sa mort et que c’était là le motif de notre mutuelle sensibilité.

Loin de se calmer, la Révolution devenait de plus en plus menaçante. Le Roi, qui formait le projet de quitter