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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/123

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

J’achetai, à prix d’argent, le passeport d’un vieil espagnol qui le fit viser et dont le signalement pouvait, à la rigueur, convenir au chancelier.

Je fis l’acquisition d’une voiture de voyage, commode, sans armes ni chiffres, et je tâchai de mettre quelque ordre dans mes propres affaires. Tous ces soins me prirent quelques jours.

Un matin, je vis entrer chez moi Lapointe, le valet de chambre de la Reine. Il allait chercher à la rejoindre, et venait déposer entre mes mains deux riches écrins qu’il avait réussi à sauver des Tuileries ; il n’osait les emporter.

Je ne pus me refuser à les recevoir. J’eus la bonne fortune de pouvoir les remettre à l’ambassadrice d’Autriche, la comtesse Apponyi ; elle partait sous peu de jours, et voulut bien s’en charger.

Lapointe me raconta que, dans le très court colloque qu’il avait eu avec sa royale maîtresse, elle lui avait, recommandé de brûler quelques papiers, de s’enfermer chez elle et d’attendre les ordres de madame la duchesse d’Orléans, avant de venir la rejoindre à Eu.

L’invasion du palais ne lui avait pas permis de suivre ces instructions. Cependant il avait réussi à brûler les papiers et à sauver les écrins qu’il m’apportait.

Ceci explique comment le Roi s’était dirigé sur Dreux. Persuadé que l’annonce de la régence de madame la duchesse d’Orléans, en calmant le tumulte, lui laisserait toute facilité de se rendre au château d’Eu, il ne pensait pas devoir se presser.

Si les rapports, qui m’arrivaient à domicile, étaient souvent bien inquiétants, l’aspect des rues n’était pas de nature à rassurer. La nécessité de vaquer à mes affaires et l’impossibilité où j’étais de marcher me forçaient à sortir en voiture.