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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/192

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CORRESPONDANCE

j’imagine qu’il y aura un peu de musique demain après le dîner et qu’il faudra que je chante. Je ne doute pas qu’on dise à Londres que je donne des fêtes, mais peu m’importe pourvu que je retourne à Portland place. Le dîner de demain, d’ailleurs, n’est pas de mon « imaginative », car j’aurais mieux aimé qu’il n’eût pas lieu. Je le trouve de trop, et je doute fort que, dans l’état où je suis, je me tire d’affaire en faisant les honneurs d’un dîner de dix-huit personnes où, du reste, je ferai de mon mieux. — Tout le monde me charge ici de mille choses pour vous, ma bonne maman : prenez cela pour ce que cela vaut, pas pour grand chose, an empty sound. Je deviens chaque jour plus misanthrope. Je vois que les anglais sont comme les autres et qu’ils font moins de méchancetés à Londres ; c’est qu’ils n’en ont point le temps et que le nombre de leurs connaissances est plus étendu. Il y en a une dizaine ici qui se déchirent comme la province de Manchester. Lady Webb est au milieu de tout cela ! Grâce au ciel, je n’y suis pas. Maman, l’émigration n’a pas changé les hommes, seulement on les voit plus ce qu’ils sont, c’est-à-dire… J’oubliais que je n’ai que dix-huit ans et que je devrais voir tout en beau… Je ne sais pourquoi cette idée que le siècle va finir sans que je vous embrasse m’afflige davantage que si c’était une année toute simple. Papa, maman, je ne vous souhaite pas la bonne année : il n’y en aura pour vous comme pour moi que quand nous serons dans les bras les uns des autres. Alors, pour la première fois depuis bien des mois, j’éprouverai un sentiment de joie sans mélange. Il me semble que, si j’étais en route pour aller vous retrouver, mon voyage dût-il durer des années, je souffrirais moins qu’en « toupillonnant » comme je le fais. Je n’ai pas le courage d’écrire à ma chère madame O’Connell ; si elle sait son malheur qu’une petite lettre