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MORT DU DUC D’ORLÉANS

C’est un bien triste événement pour elle… Cela se comprend partout… Un grand garçon qui se portait bien… »

À cet étrange panégyrique, j’éprouvai un mouvement d’indignation que je ne pus dissimuler. Tout mon respect pour les lois d’hospitalité se borna à me faire brusquement adresser la parole à une autre personne, sans daigner répondre à la duchesse. Je sentais ma voix trembler de colère. Un grand garçon qui se portait bien ! Voilà jusqu’où la fausse expression de leur prétendue sympathie les pouvait conduire ! J’aurais été moins irritée, je crois, si madame de Maillé avait parlé sincèrement des espérances que cette catastrophe faisait naître dans les rangs des légitimistes. Elles étaient très folles et fort odieuses assurément en cet instant, mais elles se pouvaient comprendre chez des gens accoutumés à vivre des illusions qu’ils ne cessent de se fabriquer.

La duchesse fut contrainte de repartir, sans avoir recueilli le moindre butin à rapporter à ses habitués, fort à leur mutuel désappointement, je pense. Car, remarquons-le en passant, il existe un certain monde pour lequel les Cours, même celles qu’ils vilipendent le plus, sont tellement une patrie que jamais ils ne perdent une occasion de s’informer avec détail de tout ce qui s’y passe. J’ai déjà vu cette tendance pour les Tuileries impériales, et elle se renouvelle depuis la révolution de 1830.

Madame de Maillé et moi ne nous sommes point reparlé de cette soirée, mais ni l’une ni l’autre ne l’avons oubliée. Je l’ai entendue se vanter quelquefois d’être impartiale comme l’histoire ; je pense que l’histoire trouvera en monsieur le duc d’Orléans autre chose qu’un grand garçon… qui se portait bien.