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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/61

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Madame la duchesse d’Aumale était fort petite, point jolie, parlait peu, et n’avait aucune représentation.

Dans ses idées de haute piété, la Reine désirait vivement marier ses fils avec l’espoir de régulariser leur conduite privée, et, ce qui est peut-être un peu singulier, c’est que cela lui a parfaitement réussi. Tous ces couples royaux se sont montrés fidèles l’un à l’autre.

C’est en 1843 que le chancelier Pasquier et moi nous prîmes tous deux de goût pour la plage de Trouville. J’y fis l’acquisition d’une cabane et, dès lors, nous allions de temps en temps y passer quelques semaines. Je l’ai ensuite rendue plus commode et, depuis 1848, elle est devenue ma seule habitation de campagne. Monsieur le chancelier y résidait presque tout l’été.

Il avait depuis longtemps pris l’habitude de venir se reposer dans ma maison de Châtenay, pendant l’intervalle des sessions de la Chambre des pairs, des fatigues de la présidence et surtout du travail ardu et pénible

    reprit-il, d’un ton assez bourru, et il ne prononça plus une parole tant qu’on resta à table.

    Je suppose qu’il était dans l’enfantement d’un des grands morceaux stratégiques de son ouvrage sur l’Empire où, non seulement il raconte, mais il corrige et rectifie les campagnes de celui qu’il qualifie du plus grand capitaine connu, et, peut-être, se trouvait-il encore très modeste de ne se comparer qu’au maréchal de Turenne.

    Quoi qu’il en soit, et malgré la défense de monsieur Thiers, madame Adélaïde et moi nous nous permîmes de nous moquer un peu de ses prétentions militaires. Nous avions pourtant l’une et l’autre du goût et de la bienveillance pour lui.

    Il inspire assez généralement ces sentiments, d’abord par l’agrément et la distinction de son esprit, et puis parce qu’il n’y a pas un grain de méchanceté dans son caractère. Malgré les soins pris par son entourage pour lui inspirer des haines et des rancunes, on n’a pu y réussir, et, s’il en a éprouvé parfois, elles ont été très fugitives.

    Sans le déplorable milieu où l’ignorance complète de toute idée morale dans sa jeunesse et une pensée de bien fausse générosité et de reconnaissance l’ont jeté, monsieur Thiers aurait été un homme beaucoup plus honnête et d’une bien plus grande valeur.