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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

« Vous ne le reconnaissez pas ?… C’est Montpensier dans son costume de juif. Il s’en va comme cela chez tous les revendeurs et les marchands de bric-à-brac, et y fait des marchés excellents. Il vient de m’apporter cette petite tabatière qui vaut dix fois plus qu’il ne l’a payée. Il attend quelquefois pendant des mois entiers pour obtenir un objet à meilleur compte ; il y est fort habile.

— Cela n’est pas très princier, m’échappa-t-il de dire.

— Oh ! personne ne le reconnaît, et cela l’amuse beaucoup. »

Je ne répondis rien, et nous restâmes toutes les deux un peu embarrassées. Madame Adélaïde parla d’autre chose, et nous ne revînmes pas sur les talents judaïques de son neveu favori. Il est très vrai qu’il avait l’air d’un fort sale petit juif dans son étrange costume.

J’ai dit que je n’avais assisté à aucune des fêtes de ce mariage ; il y en eut pourtant beaucoup et de fort belles. Celle de l’ambassade d’Espagne fut splendide. Les ministres et ce qu’on appelle les autorités cherchèrent à se surpasser l’un l’autre, hormis le chancelier.

Il trouvait la Chambre haute trop souvent forcée à se constituer en cour des pairs pour que les salons de son président dussent se transformer en salles de bal ou même de concert. Il donnait fréquemment les plus grands et les meilleurs dîners de Paris ; mais les réceptions du palais du Petit-Luxembourg étaient toujours graves et magistrales.

Il n’avait pas même voulu déroger à cette volonté en  1845, lorsqu’il avait marié son neveu Gaston d’Audiffret, qu’il venait d’adopter en lui assurant son nom, son titre et sa fortune.