Page:Mémoires du Baron Haussmann, tome 1.djvu/185

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Durant notre visite des villages de la Bellelongue, qui se touchent pour ainsi dire, et où, devant presque toutes les portes, des crétins ou goitreux, assis dans de petites chaises, offraient aux passants le plus triste spectacle, je le forçai de reconnaître, dans la coupe des terrains surplombant le chemin, des stratifications alumineuses, à l’appui de mon opinion. Il put ensuite parcourir quelques villages des vallées de Biros et de Bethmale, et admirer le beau type de leurs habitants, hommes et femmes, buveurs d’eaux calcaires.

Je ne suis pas bien sûr d’avoir convaincu ce savant érnérite. Un vieux praticien, pouvait-il, d’ailleurs, convenir de suite qu’un jeune Sous-Préfet, sans compétence, eût ébranlé, du premier coup, dans son esprit, la thèse qu’il professait depuis longtemps ? Mais, à partir de ce jour, entre le modeste fonctionnaire et le célèbre aliéniste, s’établirent des relations qui, bientôt amicales, me furent précieuses à Auxerre, d’abord, et à Paris, ensuite, pour la création de grands asiles d’aliénés du type conçu par lui.

Le docteur Ferrus avait exercé les fonctions de médecin par quartier de l’Empereur Napoléon Ier. Il comptait M. Thiers dans ses clients et amis. C’était un vieillard aimable, pétillant d’esprit, un peu trop sceptique, à force d’avoir vécu. C’est lui qui me fit cette singulière recommandation : — « Méfiez-vous des hommes gras ! » — et qui, me parlant d’un personnage dont je n’avais pas à me louer, me disait : — « Il s’est mal conduit envers vous ? Il ne vous le pardonnera jamais. »

J’ai reconnu la justesse de ce dernier jugement, et la bizarrerie de sa mise des hommes gras à l’index m’a fait remarquer plusieurs exemples à l’appui.