Page:Mémoires du Baron Haussmann, tome 1.djvu/205

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ment imaginaire, de l’ours qu’il affûtait avec patience, avait soudainement fait perdre la tête.

Je m’endormis le dernier, à cause de l’inflammation douloureuse de ma figure, que n’avait pu calmer complètement une onction de graisse fraîche. Néanmoins, je reposais enfin, quand, au milieu de la nuit, nos feux de garde s’étant éteints par suite de la négligence d’une vigie somnolente, nous fûmes réveillés en sursaut par un grand bruit de chevaux hennissant de frayeur et galopant affolés sur les rochers, suivi d’un coup de fusil, de cris : «À l’ours !… À l’ours !… » poussés par la sentinelle, et de grognements formidables.

Tout le monde fut vite sur pied ; mais, à quoi bon ? Il faisait noir comme dans un four, malgré la neige, malgré les étoiles, et point d’armes !

Heureusement, le danger n’existait plus.

On ralluma les feux ; on courut après les chevaux : deux revinrent tout griffés, dont un, assez gravement, à la cuisse, et finalement, on se compta. Dominique manquait à l’appel. Avait-il roulé dans quelque précipice, à la recherche de nos chevaux ? On le hélait en vain, et je devenais fort inquiet, lorsque le Capitaine des Douanes faillit choir en trébuchant sur un colis. C’était Dominique, enfoui dans son sac de peau de mouton, « sous » la litière, qui dormait à poings fermés. Il n’avait rien entendu ! Mal réveillé, quand le Capitaine lui conta ce qui venait de se passer, il crut à quelque mystification, et se rendormit. Le lendemain, il fallut, pour le convaincre, la vue des chevaux blessés et des traces irrécusables laissées par nos importuns visiteurs, sur les bords humides du lac. Mais, alors, il changea de gamme, et dès