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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

à l’horizon ; son aide de camp place l’oreille sur un tambour posé à terre, et par ce moyen usité à la guerre, il entend le bruit lointain de la mousqueterie. Le général Séras, inquiet, et ne doutant plus que le détachement de cavalerie ne soit aux prises avec l’ennemi, prend un régiment d’infanterie pour se porter avec lui jusqu’à l’auberge. Arrivé là, il voit sous le hangar un cheval de housard attaché au râtelier : c’était celui du maréchal des logis Canon. L’aubergiste paraît, le général le questionne et apprend que le sous-officier de housards n’a pas dépassé l’auberge, et qu’il est depuis plusieurs heures dans la salle à manger. Le général y entre, et que trouve-t-il ? M. Canon endormi au coin du feu, et ayant devant lui un énorme jambon, deux bouteilles vides et une tasse de café ! On réveille le pauvre maréchal des logis ; il veut encore s’excuser en parlant de son indisposition subite ; mais les restes accusateurs du formidable déjeuner qu’il venait de faire, ne permettaient pas de croire à sa maladie ; aussi le général Séras le traita-t-il fort rudement. Sa colère s’augmentait à la pensée qu’un détachement de cinquante cavaliers, confié à la direction d’un simple soldat, avait probablement été détruit par l’ennemi, lorsque Pertelay et les deux housards qui l’accompagnaient arrivèrent au galop, annonçant notre triomphe et la prochaine arrivée de dix-sept prisonniers. Comme le général Séras, malgré cet heureux résultat, accablait encore M. Canon de reproches, Pertelay lui dit avec sa rude franchise : « Ne le grondez pas, mon général ; il est si poltron que, s’il nous eût conduits, jamais l’expédition n’eût réussi ! » Cette manière d’arranger les choses aggrava naturellement la position déjà si fâcheuse de M. Canon, que le général fit aussitôt arrêter.

J’arrivai sur ces entrefaites. Le général Séras cassa le pauvre M. Canon, et lui fit ôter ses galons en présence du