Aller au contenu

Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

approcher, il plaça sa main sur ma tête, l’y promena d’une façon caressante en disant : « Pauvre enfant, que va-t-il devenir, seul et sans appui, au milieu des horreurs de ce terrible siège ?… » Il balbutia encore quelques paroles, parmi lesquelles je démêlai le nom de ma mère, laissa tomber ses bras et ferma les yeux !…

Quoique bien jeune, et depuis peu de temps au service, j’avais vu beaucoup de morts sur le terrain de divers combats et surtout dans les rues de Gênes ; mais ils étaient tombés en plein air, encore couverts de leurs vêtements, ce qui donne un aspect bien différent de celui d’un homme qui meurt dans son lit, et je n’avais jamais été témoin de ce dernier et triste spectacle. Je crus donc que mon père venait de céder au sommeil. Colindo comprit la vérité, mais n’eut pas le courage de me la dire, et je ne fus tiré de mon erreur que plusieurs heures après, lorsque M. Lachèze étant arrivé, je lui vis relever le drap du lit sur la figure de mon père, en disant : « C’est une perte affreuse pour sa famille et ses amis !… » Alors seulement je compris l’étendue de mon malheur… Ma douleur fut si déchirante qu’elle toucha même le général en chef Masséna, dont le cœur n’était cependant pas facile à émouvoir, surtout dans les circonstances présentes, où il avait besoin de tant de fermeté. La position critique dans laquelle il se trouvait lui fit prendre à mon égard une mesure qui me parut atroce, et que cependant je prendrais aussi moi-même si je commandais dans une ville assiégée.

Pour éviter tout ce qui aurait pu affaiblir le moral des troupes, le général Masséna avait défendu la pompe des funérailles, et comme il savait que je n’avais pas voulu quitter la dépouille mortelle de mon père bien-aimé, qu’il pensait que mon projet était de l’accompagner jusqu’à sa tombe, et qu’il craignait que les troupes