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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/165

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AVENTURE DE ROUTE.

que je suis officier, et que cette feuille de route a été faite pour moi. »

Je m’inquiétais fort peu de mon arrestation. Mais voilà que le vieux gendarme déclare qu’il n’entend pas retourner à Orthez ; qu’il est de la brigade de Peyrehorade, et que c’est là que je vais le suivre. Je déclare que je n’en ferai rien, que c’était ce qu’il pouvait faire si je n’avais pas de papiers ; mais que lui ayant produit une feuille de route, il n’a pas le droit de me faire rétrograder, et qu’il doit, selon les règlements, m’accompagner à Orthez où je me rends. Le moins âgé des gendarmes, qui était aussi le moins aviné, dit que j’ai raison ; alors une contestation des plus vives s’élève entre ces deux cavaliers ; ils s’accablent d’injures, et bientôt, au milieu de l’effroyable tempête qui nous environne, ils mettent le sabre à la main et se chargent avec fureur. Quant à moi, craignant de recevoir quelque blessure dans ce ridicule combat, je descendis dans un des immenses fossés qui bordent la route, et bien que j’y eusse de l’eau jusqu’à la ceinture, je grimpai dans le champ voisin, d’où je me mis à contempler mes deux gaillards qui s’escrimaient à qui mieux mieux.

Heureusement, les manteaux mouillés et lourds qu’ils portaient embarrassaient leurs bras, et les chevaux effrayés par le tonnerre s’éloignant l’un de l’autre, les combattants ne pouvaient se porter que des coups mal assurés. Enfin, le cheval du vieux gendarme s’étant abattu, cet homme roula dans le fossé, et après en être sorti couvert de fange, il s’aperçut que sa selle s’était brisée, et qu’il ne lui restait plus qu’à continuer sa route à pied, en déclarant à son camarade qu’il le rendait responsable de son prisonnier. Resté seul avec le plus raisonnable des deux gendarmes, je lui fis comprendre que si j’avais quelque chose à me reprocher, il me serait