CHAPITRE XXXIV
Je n’ai pas voulu interrompre la narration de la bataille d’Eylau, pour vous dire ce qui m’advint dans ce terrible conflit ; mais pour vous mettre à même de bien comprendre ce triste récit, il faut que je remonte à l’automne de 1805, au moment où les officiers de la grande armée, faisant leurs préparatifs pour la bataille d’Austerlitz, complétaient leurs équipages. J’avais deux bons chevaux, j’en cherchais un troisième meilleur, un cheval de bataille. La chose était difficile à trouver, car, bien que les chevaux fussent infiniment moins chers qu’aujourd’hui, leur prix était encore fort élevé et j’avais peu d’argent ; mais le hasard me servit merveilleusement. Je rencontrai un savant allemand, nommé M. d’Aister, que j’avais connu lorsqu’il professait à Sorèze ; il était devenu précepteur des enfants d’un riche banquier suisse, M. Schérer, établi à Paris et associé de M. Finguerlin. M. d’Aister m’apprit que M. Finguerlin, alors fort opulent et menant grand train, avait une nombreuse écurie dans laquelle figurait au premier rang une charmante jument appelée Lisette, excellente bête du Mecklembourg, aux allures douces, légère comme une biche et si bien dressée qu’un enfant pouvait la conduire. Mais cette jument, lorsqu’on la montait, avait un défaut terrible et heureu-