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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

à Lyon. J’en profitai pour me faire confectionner un nouveau bonnet de police, et, enchanté de cette emplette, je ne m’occupai nullement des conversations politiques que j’entendais autour de moi et auxquelles, à vrai dire, je ne comprenais pas grand’chose. Mon père alla rendre au général Bonaparte la visite qu’il en avait reçue. Ils se promenèrent fort longtemps seuls dans le petit jardin de l’hôtel, pendant que leur suite se tenait respectueusement à l’écart. Nous les voyions tantôt gesticuler avec chaleur, tantôt parler avec plus de calme ; puis Bonaparte, se rapprochant de mon père avec un air patelin, passer amicalement son bras sous le sien, probablement pour que les autorités qui se trouvaient dans la cour et les nombreux curieux qui encombraient les croisées du voisinage, pussent dire que le général Marbot adhérait aux projets du général Bonaparte, car cet homme habile ne négligeait aucun moyen pour parvenir à ses fins ; il séduisait les uns et voulait faire croire qu’il avait gagné aussi ceux qui lui résistaient par devoir. Cela lui réussit à merveille !

Mon père sortit de cette seconde conversation encore plus pensif qu’il n’était sorti de la première, et en entrant à l’hôtel, il ordonna le départ pour le lendemain ; mais le général Bonaparte devait faire ce jour-là une excursion autour de la ville pour visiter les hauteurs fortifiables, et tous les chevaux de poste étaient retenus pour lui. Je crus pour le coup que mon père allait se fâcher. Il se contenta de dire : « Voilà le commencement de l’omnipotence ! » et ordonna qu’on tâchât de se procurer des chevaux de louage, tant il lui tardait de s’éloigner de cette ville et d’un spectacle qui le choquait. On ne trouva point de chevaux disponibles. Alors le colonel Ménard, qui était né dans le Midi et le connaissait parfaitement, fit observer que la route de Lyon à Avignon