Aller au contenu

Page:Mémoires du maréchal Joffre (1910-1917) T.1.pdf/154

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
142
mémoires du maréchal joffre

parti ayant, comme nous, une infériorité sensible en artillerie lourde, mais une supériorité manifeste en artillerie de campagne.

Je dirai maintenant les idées qui m'ont servi à fixer mes décisions au point de vue de la concentration et à celui des opérations. Je le ferai sincérement, disant sans réticence toutes mes pensées d'alors, même lorsque les événements sont venus les infirmer.

Tout d'abord, nous croyions tous que la guerre serait courte. A cet égard, tout le monde s'est trompé : civils militaires, les stratèges, les diplomates, les économistes et les financiers. Foch n'avait-il pas écrit dans ses admirables Principes de la guerre : "Les armées que nous mettrons en mouvement seront des armées de civils arrachés à leurs familles. La guerre apportera la gêne avec elle ; la vie cessera ; d'où la conséquence que la guerre ne pourra durer longtemps." Dans la Conduite des grandes unités, rédigée par une commission que présidait le général Pau, on pouvait lire : "Dans la forme actuelle de la guerre, l'importance des masses mises en oeuvre, les difficultés de leur réapprovisionnement, l'interruption de la vie sociale et économique du pays, tout incite à rechercher une décision dans le plus bref délai possible, en vue de terminer promptement la lutte."

Chez les Allemands, même croyance.

Le général de Schlieffen, chef du grand état-major jusqu'en 1906, dans une série d'articles retentissants publiés en 1909, limitait la durée de la guerre à celle de la première bataille. Outre les arguments d'ordre économique, il indiquait les tendances pacifistes de la plupart des peuples européens comme un élément qui devait circonscrire rapidement la guerre dans le temps : "Dès le début d'une guerre malheureuse, disait-il, le gouvernement d'un pays devra compter avec un courant d'opinion qui le conduira à la paix."

Je laisse à d'autres plus qualifiés le soin facile de retrouver les écrits des hommes politiques, des financiers et des économistes, des opinions semblables à celles que je viens de citer.