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visite du général lanrezac

qu'il essayait d'aborder la question des opérations et que M. Messimy avait dû le charger de me présenter la manière dont il concevait qu'elles devaient être conduites. On s'imaginera facilement combien cette suggestion me fut désagréable, si l'on pense à la responsabilité que j'avais à supporter. Aussi, je rompis assez brusquement l'entretien.

Lanrezac vint me voir au début de l'après-midi ; il me fit part de sa crainte de voir les Allemands exécuter par le nord de la Meuse un large mouvement débordant. J'ai dit qu'à cette date du 14 août, l'état de nos renseignements ne permettait pas pour le moment d'envisager une telle manœuvre, et qu'au contraire, le gros des forces ennemies semblait se masser derrière l'Ourthe, au sud des troupes qui mansquaient Liége. Sur la rive gauche les forces allemandes qui nous étaient signalées se réduisaient à de la cavalerie et à quelques colonnes d'infanterie. D'autre part, la région Maubeuge-Hirson était réservée au débarquement des troupes britanniques, et je ne pouvais, sous peine de créer du désordre dans cette zone, autoriser le général Lanrezac à y pousser une partie de son armée. Je dus, en conséquence, dire au commandant de la 5e armée que ses craintes me semblaient pour le moment prématurées, et que, jusqu'à nouvel ordre, sa mission était de se porter à la rencontre du groupement ennemi signalé derrière l'Ourthe et la ligne Hoffalize-Luxembourg[1].

  1. Depuis cette époque, le général Lanrezac a prétendu qu'il était impossible de ne pas voir que la manœuvre allemande se développait au nord de la Meuse ; il affirme que lui l'a vue sans aucun doute. Cette affirmation paraît un peu exagérée. En effet, ce que nous avons appris de la manœuvre allemande depuis la fin de la guerre, nous montre que c'est le 13 août que l'armée Kluck a traversé Aix-la-Chapelle ; le 14, ses avant-gardes atteignaient la Meuse vers Visé ; le 16, elles entraient à Bilsen et à Tongres. Le 17 au matin nous n'aurions donc pu connaître, en admettant que nos moyens d'investigation fussent parfaits, que la présence de ces avant-gardes sur la rive gauche de la Meuse. De là à pouvoir conclure que toute la manœuvre allemande allait se dérouler au nord de la Meuse, il aurait fallu pour pouvoir le faire, comme prétend l'avoir fait le général Lanrezac, être doué du don de divination. Or, dans la réalité, pour des raisons déjà dites, et comme on le verra dans le