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La loi morale est la lumière qui éclaire tout homme en ce monde, et le Christianisme a pu dire, dans son langage mystique, que c’est le seul Dieu qu’on doive adorer ; déjà les Stoïciens avaient appelé la conscience un Dieu intérieur que chacun porte en soi. Mais l’Hellénisme avait-il eu tort de reconnaître dans la beauté une autre forme de l’idéal, et d’adorer les énergies multiples de l’ordre universel ? L’art et la morale ont tous deux leur raison d’être, et il n’était pas nécessaire de proscrire le beau pour exalter le juste. Si le point de vue qui embrassait dans les mêmes symboles le double aspect du divin paraissait trop large, on pouvait le restreindre sans anéantir toute une civilisation. Sans doute les passions sont des puissances redoutables ; l’éternel Féminin a produit bien des désordres dans les sociétés humaines ; cependant, cette volupté maudite, la mère des désirs adultères, la Diablesse Vénus, comme l’appelait le moyen âge, n’en est pas moins la loi divine de l’Attraction universelle, la source bienfaisante de la vie, l’irrésistible beauté qui nous souriait sur l’écume des flots.

Mais il ne suffisait plus à l’humanité de lutter contre la nature, elle voulait la maudire et l’Hellénisme refusa de s’associer à cette malédiction. La nature est si belle, que la croire mauvaise eût paru un blasphème à cette religion de la beauté ; interrogée sur le problème du mal, elle ne répondit pas, et voilà pourquoi elle n’a plus ni temples ni fidèles. L’humanité rejeta cette religion d’artistes, qui ne voulait pas séparer le beau du juste, et qui voyait l’un à travers l’autre, cette religion d’athlètes qui niait la douleur. Elle mourut le sourire aux lèvres, sans protester contre l’ingratitude des hommes, enveloppée dans le calme de son orgueil et de sa beauté. Chaque siècle, en passant, lui a jeté sa part d’imprécations, de sarcasmes et d’injures ; on rougirait d’insulter à la mémoire d’un ennemi, mais avec une religion morte, on ne se croit pas obligé d’être juste, et les causes vaincues trouvent rarement des défenseurs.


De la douleur et du péché.


Le principe de la pluralité des causes excluant l’idée de toute puissance, il eut été plus facile au Polythéisme qu’à toute autre forme religieuse d’aborder la question du mal. Il semble qu’elle devait se présenter d’elle-même en présence des luttes dont la nature est le théâtre. Le combat d’Indra contre Vritra, du ciel bleu contre l’orage, est un des thèmes les plus familiers à la poésie védique. L’Hellénisme avait tiré de ces scènes atmosphériques une conception plus générale : la victoire des Dieux sur les Titans représente le triomphe des lois modératrices sur les forces tumultueuses qui troublaient l’harmonie du monde. Mais les Iraniens ne s’arrêtèrent pas comme les Grecs devant la beauté de la nature : sous ce voile éclatant ils virent le désordre, et dédoublant l’œuvre créatrice, ils rapportèrent les effets contraires à deux principes ennemis, Ormuzd et Ahriman, la lumière et les ténèbres, le bien et le mal. Le bon