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cette vie ne sait pas quel crime il a commis avant de naître, et il n’y a pas de raison pour croire que le mouton sache davantage quel crime il expie quand il est mangé. La métempsycose sans mémoire n’absout pas la justice divine, mais elle peut arrêter les élans de la pitié chez ceux qui voient souffrir, et elle condamne ceux qui souffrent à l’inertie de la résignation. Les vertus héroïques luttant contre la tyrannie des hommes ou des choses sont remplacées en Orient par cette morale ascétique et passive dont l’Occident a eu tant de peine à sortir. Il n’est ni à croire ni à souhaiter qu’une solution plus apparente que réelle du problème du mal puisse satisfaire des races actives, régénérées par l’infusion du génie grec, et cherchant désormais l’affranchissement de l’homme, non dans la contemplation mais dans la lutte et dans le travail.

Pourtant la question du mal est posée, il faut la résoudre ; c’est pour la religion une question de vie ou de mort, et il ne faut pas que la religion meure : que deviendrait l’humanité sans idéal ? Si l’on ne veut pas se contenter de la solution mazdéenne, il faut en trouver une autre. Peut-être la cherchera-t-on dans le sens des théories d’évolution acceptées aujourd’hui par la science ; sans doute il faudrait dépasser la portée scientifique de ces théories, mais c’est une hardiesse permise aux aspirations religieuses. On pourrait supposer, par exemple, que les Principes démiurgiques ne sont pas enfermés, comme on l’avait cru, dans l’existence immobile, mais qu’ils progressent dans le devenir ; inconscients d’abord dans les forces primordiales, ils s’élèvent, par des lois d’équilibre, à l’ordre cosmique, et arrivent dans les intelligences à la conception des lois morales. Quand ils auront réalisé le Juste par tous les groupes de volontés libres disséminés dans l’univers, ils comprendront que la vie est achetée trop cher par tant de douleurs imméritées, qu’il faut étendre la Rédemption à la nature, et ils la renouvelleront sur un plan conforme à la Justice : et renovabis faciem terræ. Mais si leur énergie créatrice est épuisée, ou si la nécessité l’enchaîne, si la douleur est l’inévitable condition de la vie, alors que le rayonnement des planètes amène la congélation prévue, que la vie s’évapore à jamais dans les espaces interstellaires, et que la matière incorrigible rentre au néant d’où elle n’aurait pas dû sortir !


V

DE LA VIE ÉTERNELLE


Sanction morale dans les religions unitaires.


L’homme faisant partie de l’ensemble des choses, les opinions d’une société sur la nature de l’homme et sa destinée sont nécessairement en rapport avec la manière dont elle se représente l’ordre général de l’univers. Dans le système monothéiste, dont le Judaïsme offre l’expression la