Page:Ménard - Poèmes et Rèveries d’un paien mistique, 1895.djvu/15

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VOX IN DESERTO

Il est d’usage, parmi les poètes, de répondre à l’indiférence toujours croissante du public pour les vers par une préface sur les destinées de la Poésie. On y déclare qe la Poésie est immortèle, et qe ceus qi diraient le contraire blasfèmeraient l’esprit umain. Et le public répond : La Poésie est morte ; ce n’est ni votre faute ni la miène, mais il n’i a rien d’implacable come un fait acompli.

Il i a des lois similalres dans le monde fisiqe et dans le monde intellectuel : Les fonxions se spécialisent par le dévelopement des germes come par la transformation des espèces ; les langues comencent par la forme sintétiqe et finissent par la forme analitiqe. La Poésie, art complexe, doit aussi se résoudre en deux élétments spéciaus et distincts : la musiqe et la parole. Qand toute vois umaine était une armonie, toute idée naissait sous une forme cadencée ; puis la prosodie et l’accentuadion disparaissent successivement des langues, et, peu à peu, la pensée rojète le ritme mème come une entrave.

Ce n’est pas q’il ne reste des poètes, mais tant pis pour ces déclassés : il faut savoir naitre en temps oportun. Les omes des àges éroiques ne seraient bons aujourd’ui q’à luter dans les foires et le paladin Roland passerait en cour d’assises s’il s’avisait d’aracher des têtes de paysans comme des oignons.