Page:Méric - À travers la jungle politique et littéraire, 2e série, 1931.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

emprisonnés ou en fuite. J’étais demeuré seul, assurant la confection et la publication du canard qui paraissait, sur une seule feuille, quotidiennement. Et je me méfiais. Je m’attendais, chaque matin, à l’arrestation. Je couchais à droite et à gauche, changeant de domicile tous les jours. Mais, surtout, je passais les nuits dehors.

Or, ce soir-là, j’étais éreinté, fourbu, anéanti. Trois jours sans sommeil ! Couté fidèlement m’escortait, ne voulant pas me lâcher. Et nous étions quelque peu assoupis devant notre table, cependant que, derrière nous, un sympathique personnage, outrageusement moustachu, jetait l’anathème sur les « bourgeois », ces cochons de « bourgeois ». Soudain, le poète, qui paraissait sommeiller, ouvrit un œil et, tel le mousquetaire de Cyrano au deuxième acte, se mit à renifler fortement.

— Ça sent, dit-il… ça sent…

— Qu’est-ce que ça sent ? demandais-je.

— Ça sent la Tour Pointue.

Du coup, le type ennemi des « bourgeois » se tut. Il appela le garçon, régla, et, discrètement, fila.

Souvent, très souvent, nous réclamions du papier et une plume et nous nous mettions à la besogne. Couté composait sa chanson de la semaine. Moi, je pondais un article. De temps en temps, le poète levait la tête.

— Tu n’as pas une rime à Sardanapale ?

— Si… Pilule Pink pour personne pâle….

— Zut !

Il se grattait le sinciput et se remettait à chasser la rime. Moi-même, il m’arrivait de taquiner la muse. Une nuit j’accouchai d’une parodie de Hugo — le Hugo des Châtiments — concernant le président Fallières que nous considérions comme l’assassin de Liabœuf. Harmodius écoutait les voix qui le poussaient au meurtre. Et la conscience lui déclarait, pour finir :