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publiques ou clandestines et les séjours à la Santé ou à la Conciergerie.

Parfois, il prenait son bâton et se mettait à parcourir la province. Il s’intitulait alors « commis-voyageur en socialisme ».

Nous l’appelions le « général ». Cela venait de son costume d’apparence militaire. Il portait un veston qui lui serrait la taille, au col étroit, à allure de dolman. On le blaguait là-dessus. La vérité, c’est que par mesure d’économie, il avait fait tailler cet habit dans un uniforme de son frère, le commandant d’artillerie mort pendant la guerre, dans la Somme, à quelques pas du lieu où je me trouvais moi-même.

Du reste, aucun souci vestimentaire chez Hervé. Sur ce point, il pouvait être comparé à Jaurès. Je l’ai vu, à la Santé, le soir venu, au moment où le guichetier nous mettait sous clef pour la nuit, entrer dans sa cellule et se dépouiller en un clin d’œil de ses habits. Il jetait son veston au milieu de la pièce ; puis le pantalon allait le rejoindre ; après quoi v’lan ! les chaussures. Ah ! c’était promptement fait. Et le « général » tombait dans son lit, éteignait la lumière. Deux minutes après, il ronflait.

C’était un dormeur merveilleux et méthodique. Pas un événement n’était capable de le distraire de son sommeil. Il nous expliquait, en riant, qu’il avait deux tiroirs dans son cerveau : le tiroir aux noirs soucis ; le tiroir aux pensées roses.

— Alors, vous comprenez, comme je veux dormir tranquille, je ferme le mauvais tiroir et j’ouvre le bon.