Page:Méric - À travers la jungle politique littéraire, 1930.djvu/237

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Il avait, en face de lui, un vieillard, le père Clavier, maire de Draguignan. C’était un de ses fidèles, un de ceux qui l’avaient toujours soutenu, envers et contre tous, même aux heures tristes de la défaite. Or, ce jour-là, Clemenceau, de fort méchante humeur, bourru, ne desserrait pas les lèvres. Le père Clavier, très embarrassé, tentait vainement de nouer une apparence de conversation.

Avisant une superbe canne au pommeau d’argent ciselé que le ministre tournait rageusement entre ses doigts, le vieillard crut avoir trouvé le bon prétexte et, avec un sourire, il susurra :

— Vous avez une canne merveilleuse, monsieur le président !

Pas un mot de réponse. Le maire, Clavier, tout rouge de confusion n’insista pas.

L’auto roulait toujours dans la poussière. Clemenceau demeurait silencieux. Le vieux Clavier revint à la charge.

— Cette canne, fit-il, est tout à fait originale.

Mouvement nerveux chez le ministre et quelque chose comme un rugissement étouffé. Clavier, épouvanté, s’enfonça dans un coin.

L’auto filait, filait…

Pour la troisième fois, après une heure de silence obstiné, le vieillard essaya :

— Cette canne… commença-t-il.

Alors, Clemenceau se tourna vers lui, furieux. Et il lui lâcha dans le visage, goujatement :

— Cette canne… eh bien ! quoi !… voulez-vous que je vous la flanque dans le… ?