Page:Méric - À travers la jungle politique littéraire, 1930.djvu/239

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On sait peut-être comment Clemenceau devint ministre. C’est de la petite histoire qui permet d’expliquer la grande, laquelle, qu’on le veuille ou non, demeure un récit froid et conventionnel si l’on ne projette pas quelque utile lumière sur ses détails et ses obscurités. Clemenceau donc, n’était que sénateur du Var, par la grâce de mon père. Un jour, le vieux, Sarrien fut chargé de constituer le cabinet.

Sarrien fit appeler Clemenceau. Dans sa pensée il ne s’agissait que d’une simple consultation. Il s’adressait à cet homme politique, de même qu’à bien d’autres, pour connaître leur pensée, prendre leur avis. Mais Clemenceau ne l’entendait pas ainsi. Il s’était fourré dans le crâne que son heure allait sonner. Et, dans son entourage, on flattait volontiers cette marotte.

Clemenceau se rendit chez le futur président du Conseil. Ce dernier, après lui avoir serré la main, lui indiqua un siège et, très poliment, demanda :

— Qu’est-ce que vous prenez ?

Pour le père Sarrien, il était question seulement d’offrir une boisson quelconque à son visiteur. Clemenceau, sans doute, le comprit ainsi. Peut-être, l’esprit empli de son ambition, imagina-t-il qu’on parlait du portefeuille tant convoité. Toujours est-il que, de sa voix sèche et tranchante, il répliqua :

— Je prends l’Intérieur.

Sarrien, démonté, abasourdi, n’osa le dissuader,