Page:Méric - À travers la jungle politique littéraire, 1930.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et critiques d’art en herbe, le tout condimenté de quelques aventuriers louches, de souteneurs miteux et de métèques désespérants. Cette cité où campait la jeunesse « intellectuelle », cour des Miracles de la rive gauche, tenait dans une sorte de losange qui allait de la rue de Seine à la rue de l’Ancienne-Comédie et du boulevard Saint-Germain aux quais.

La rue de Buci, où fleurissaient, tous les cinq mètres, des bars et des comptoirs qui débitaient le café-crème « à dix centimes », — oh ! la douceur de vivre de ce temps ! — était l’artère principale. On s’y retrouvait chaque jour, comme dans les rues de la République des villes de province. Des idylles rapides s’y nouaient, car les demoiselles ne manquaient point dans ces lieux où elles jouaient les héritières de Mimi et de Musette, oh ! pas longtemps, juste ce qu’il fallait pour jeter leur gourme et s’évader vers le trottoir hospitalier. On y ébauchait des amitiés solides, évaporées depuis, disloquées par la vie. On y faisait beaucoup de bruit. Le quartier, pour tout dire, était notre domaine. Nous étions installés dans ses bars et dans ses hôtels garnis — ah ! que garnis ! comblés de toute la vermine imaginable !

J’ai connu là des types inouïs. Il faudrait du temps et la plume d’un Vallès pour les ressusciter. Les vieux, surtout, gonflés d’expérience et qui avaient hanté les gloires de la Poésie, de l’Art, de la Littérature. Ceux-là-étaient admirables. Ils tenaient le coup merveilleusement devant des demi-douzaines de pernod ou de picon. Ils étaient généralement barbus, chevelus, poudrerisés de pellicules neigeuses, cravatés