Page:Méric - À travers la jungle politique littéraire, 1930.djvu/87

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pantalon de velours à la hussarde, une lavallière, un veston cintré. Après quoi, il s’armait d’une énorme pipe et accourait parmi nous. Parfois, nous l’entendions qui jetait, superbe :

— Nous autres, les artistes !

Le malheureux, d’ailleurs, voyait son innocente manie terriblement exploitée par quelques sans-scrupules conscients. Au commencement du mois, il payait tournée sur tournée, emmenait ses compagnons ravis dans le restaurant où il avait pris pension. Une semaine après il n’avait plus le sou. Alors il plantait des drapeaux un peu partout. Il fit si bien qu’on le jeta à la porte de son administration.

La bohème a ses amoureux fervents, ses héros, ses victimes et ses farceurs !

Le père Jacquemin comptait parmi les victimes. Il avait eu cependant une vie dorée, assurait-on. Il recevait à sa table littérateurs et artistes. Il portait beau. Puis, tout à coup, la dégringolade dans les bouges de la rue de Buci. Mais jamais il n’ouvrait la bouche là-dessus.

La dernière fois que je le rencontrai, aux environs du Luxembourg — j’avais déjà fui la contrée de Buci — il s’en allait la tête basse, voûté, l’air très las. Il me fallut insister pour qu’il me reconnût.

Quelques semaines après, un ami me dit :

— À propos, tu sais le père Jacquemin, il s’est fait écraser par un camion.

Pauvre vieux père Jacquemin !