désirs et les caprices des gouvernants du jour. En définitive, ces avatars brusques étaient conformes au processus de toute révolution et je reconnaissais bien là la loi que déterminent les couardises humaines. Ceux qui redoutaient le plus l’émeute et s’affichaient le plus implacablement réactionnaires, à la veille de la transformation sociale, se proclamaient maintenant les plus ardents et les plus enragés terroristes. Ils hurlaient plus fort que les loups. Éternelle comédie. Par contre, les précurseurs, les prophètes d’hier se voyaient dénoncés, suspectés, menacés, dépassés par leurs adversaires.
Moi-même, qui analysai ces revirements dans leurs causes abjectes, je fus placé dans la nécessité de me prononcer. On me poussa de force dans un journal officiel, naguère grande feuille d’information du matin, avec ordre de n’accueillir que ce qui pouvait servir les nouveaux maîtres. Je dus occuper, non sans dégoût, ce servile emploi de censeur, forcé que j’étais de m’exécuter sous les yeux vigilants d’une police méfiante. Mais j’eus la triste satisfaction de retrouver à mes côtés de bons confrères devenus furieux et qui, quelques mois avant, inondaient les communistes de leur bave pisseuse.
Les effets de ce régime se firent rapidement sentir. Le mouchardage prit une extension invraisemblable et une épouvante sourde broya les rébellions. Les travailleurs, cependant, n’avaient pas lieu de se féliciter outre mesure. Interdiction leur était faite de se syndiquer, de réclamer, de songer à la grève et ils devaient besogner pour un morceau de pain. Les salaires supprimés, on ne donnait à manger et on ne consentait de