elle autre chose qu’une succession d’absorptions ? L’être ne se renouvelle-t-il pas, constamment, en avalant l’être ? Je contemple un énorme sapin dressé, devant moi, comme un colosse, aux branches entremêlées. C’est toujours la même sève qui coule en lui. Il élabore sa propre structure en empruntant à lui-même, à ses déchets, à la jeunesse qu’il prodigue et récupère tour à tour. Le mouvement a, lui aussi, chez l’animal, cette faculté de réabsorption et d’éternisation.
Je chante le héros… Il a dépassé ses désirs et toute l’humanité qui marche est en lui. La Planète est son domaine. Vieux Jeunes, Éternels magnifiques, assemblez-vous, autour de lui, comme une couronne de dieux. Que les lyres résonnent. Et qu’Hébé, l’immortelle, nous verse la liqueur bienfaisante, suppuration de soleil, baptisée par le maître : soléol. Ugolin, Conquérant, Poète, Mangeur d’hommes, nous sommes à tes pieds.
Je chante le héros… Mais voici le crépuscule. Et voici plus que le crime : la faute. Ugolin n’a pas écrasé la femme. Il le fallait. Il fallait écraser la femme — la chenille. Et supprimer aussi l’accouplement grotesque qui, pour quelques minutes torturantes, rive deux adversaires irréductibles, collés peau à peau, amalgamant leur vertige, caracolant, chacun de son côté, des sensations contradictoires. Ugolin n’a pas su comprendre. Quand on veut assujettir la vie, il faut tremper ses doigts dans la source. Raccommoder, c’est bien. Créer, c’est mieux.
Ugolin n’a pu dominer entièrement la vie… sans la femme. Il n’a même pas essayé. C’est de cela que nous mourrons.