Page:Méric - Le Crime des Vieux, 1927.djvu/65

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jour même, à la fièvre qui m’agitait alors que j’attendais impatiemment le coup de téléphone prometteur.

Un soir, guidé par l’ennui et ne sachant vraiment à quoi employer mon temps, je me risquai dans un « dancing ». Ainsi se dénommaient certaines salles où, la nuit venue, s’entassaient des bipèdes des deux sexes en proie à un étrange déséquilibre et qui se trémoussaient, se contorsionnaient, grimaçaient, suaient, au rythme d’un orchestre discordant. On appelait cela danser. Mais la chorégraphie en ces lieux se compliquait de gymnastique et d’arithmétique. Il fallait savoir compter. Un… deux… Sautez… reculez… Un… deux… trois… levez le pied… quatre… cinq… tournez… En avant les five step, les hupaa-hupaa, les gisaska, les volla, les passo-doblo, les saladéiska, les troustroustost, les grattoskiCharleston, Blac bottom, Maboul’tom… Saint Guy présidait à ces agitations frénétiques coupées d’ondulations de croupes et de roulis en pâmoisons. Et Satan conduisait le bal.

C’est là que je rencontrai Juliette. À vrai dire, elle n’avait pas l’air de se divertir beaucoup plus que moi. Deux doigts de conversation, une coupe de champagne et nous devenions de vieux camarades. Ah ! l’exquise petite femme, toute vibrante et sans inutile hypocrisie. Mais si bizarre, pourtant. Ses prunelles, qui devenaient immenses par instants, semblaient, sous le volet des paupières, abriter quelque inabordable secret. Des prunelles d’une déconcertante mobilité et de tons si changeants qu’on eût dit deux frémissantes agates. D’autres fois, quand le désir flambait en elle, des fulgurations inquiétantes zigzaguaient dans ces yeux profonds