Aller au contenu

Page:Méric - Les Bandits tragiques.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savait d’où, avec ses pieds nus dans des sandales et ses pauvres jambes brisées qu’il lançait en avant d’un superbe élan de ses béquilles de pauvre. Il portait une longue blouse noire aux larges manches, et, tout en haut de ce corps misérable, la tête flambait orgueilleusement ! Il allait toujours tête nue, avec un front comme Socrate, crâne chauve et cabossé de la sagesse autour duquel pendaient quelques longs cheveux rétifs comme des épines. Mais ses yeux brûlaient de révolte, férocement, et sa bouche se tordait en sarcasmes d’amertume.

« Libertad parlait. Sa voix âpre et chantante tour à tour contait en ses inflexions précipitées comme un débordement du cœur, la joie de vivre au rythme des libres sensations en la simplicité des gestes sans morale, l’horreur d’agoniser au mécanisme des tâches serviles en la complexité des mouvements convenus, la bêtise des politiques, la complicité des maîtres et des esclaves, l’autoritarisme de toute force collective, la lâcheté des hommes qui ne savent agir qu’en troupeau et la jouissance de se découvrir et de recréer, et de se perdre en toute sa sève, comme une tige droite et souple vers le soleil, et de s’assurer soi-même vivant et libre dans la lumière. Libertad chantait l’anarchie comme une force que chacun portait en soi. Et, tandis qu’il parlait, les yeux des jeunes gens brillaient d’une lumière intérieure. Au rythme de cette voix, ils écoutaient en eux s’éveiller l’âme de leur jeunesse.