Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 1,1874.djvu/101

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voilà pourquoi je vous réponds si tard. S’il faut être franc, et vous savez que je ne me corrige pas de ce défaut, je vous avouerai que vous m’avez paru fort embellie au physique, mais point du tout au moral ; vous avez de très-belles couleurs et des cheveux admirables que j’ai regardés plus que votre bonnet, qui en valait la peine probablement, puisque vous semblez irritée que je n’aie pas su l’apprécier. Mais je n’ai jamais pu distinguer la dentelle du calicot. Vous avez toujours la taille d’une sylphide, et, bien que blasé sur les yeux noirs, je n’en ai jamais vu d’aussi grands à Constantinople ni à Smyrne.

Maintenant, voici le revers de la médaille. Vous êtes restée enfant en beaucoup de choses, et vous êtes devenue par-dessus le marché hypocrite. Vous ne savez pas cacher vos premiers mouvements ; mais vous croyez les raccommoder par une foule de petits moyens. Qu’y gagnez-vous ? Rappelez-vous cette grande et belle maxime de Jonathan Swift : That a lie is too good a thing to be lavished about ! Cette magnanime idée d’être dure pour vous-même vous mènera loin assurément, et, dans quelques années d’ici, vous vous trouverez