Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 1,1874.djvu/154

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aimé qu’hier. » Vous auriez pu ajouter : « Je vous aime moins aujourd’hui. » Je suis sûre que, si vous étiez aujourd’hui telle que vous étiez hier, vous auriez eu les remords que je vous prédisais et qui ne vous tourmentent guère, à ce qu’il me semble. Mes remords à moi sont d’un autre genre.

Je me repens souvent d’être trop loyal dans mon métier de statue. Vous me donniez votre âme hier, j’aurais voulu vous donner la mienne ; mais vous ne voulez pas. Toujours la housse de toile ! Voilà un sujet sur lequel vous me feriez vous dire toutes les injures possibles ; et pourtant jamais je n’en ai eu moins d’envie avant d’avoir reçu votre lettre. Après tout, je suis comme vous : les bons souvenirs me font oublier les mauvais. À propos, voyez quelle tendresse ! vous me gardez une surprise pour mon départ. Croyez-vous que je sois bien impatient ? Hier, en revenant de dîner en ville, je me suis aperçu que je savais par cœur le discours de Temessa que vous aviez admiré ; et, comme j’étais un peu rêveur, je l’ai traduit en vers ; en vers anglais s’entend, car j’abhorre les vers français. Je vous les destinais, mais vous ne les aurez pas. D’ailleurs, je me suis aperçu qu’il