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PROSPER MÉRIMÉE

avoir imaginé le mot et la chose. » Depuis, ayant fabriqué des poésies illyriques que les savants d’outre-Rhin traduisirent d’un grand sérieux, il put se vanter d’avoir fait de la couleur locale. « Mais le procédé était si simple, si facile, que j’en vins à douter du mérite de la couleur locale elle-même, et que je pardonnai à Racine d’avoir policé les sauvages héros de Sophocle et d’Euripide. » — Vers la fin de sa vie, il évitait de parti pris toutes les théories ; à ses yeux, elles n’étaient bonnes qu’à duper des philosophes ou à nourrir des professeurs : il n’acceptait et n’échangeait que des anecdotes, de petits faits d’observation, par exemple en philologie, la date précise où l’on cesse de rencontrer dans le vieux français les deux cas survivants de la déclinaison latine. À force de vouloir la certitude, il desséchait la science et ne gardait de la plante que le bois sans les fleurs. On ne peut expliquer autrement la froideur de ses essais historiques, Don Pèdre, les Cosaques, le Faux Démétrius, la Guerre sociale,