Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 1,1874.djvu/49

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Devinez en mille où j’étais samedi soir, ce que je faisais à minuit. J’étais sur la plate-forme d’une des tours de Notre-Dame, et je buvais de l’orangeade, et je prenais des glaces en compagnie de quatre de mes amis et d’une lune admirable ; le tout accompagné d’un gros hibou qui battait des ailes autour de nous. C’est, en vérité, un fort beau spectacle que Paris au clair de lune et à cette heure. Cela ressemble à ces villes dont on parle dans les Mille et une Nuits, où les habitants ont été enchantés pendant leur sommeil. Les Parisiens se couchent à minuit en général, bien sots en cela. Notre party était assez curieuse : il y avait quatre nations représentées, chacun pensant d’une manière différente. L’ennui, c’est qu’il y avait quelques-uns de nous qui, en présence de la lune et du hibou, se sont crus obligés de prendre le ton poétique et de dire des lieux communs. Au fait, peu à peu tout le monde s’est mis à déraisonner.

Je ne sais comment et par quel enchaînement d’idées cette soirée semi-poétique me fait penser à une autre qui ne l’était pas du tout. J’ai été à un bal donné par des jeunes gens de mes amis, où étaient invitées toutes les figurantes de l’Opéra.