Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 1,1874.djvu/66

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de moi. Votre prudence naturelle entre sans doute pour beaucoup dans votre répugnance à me voir. Rassurez-vous, je ne deviendrai pas amoureux de vous. Il y a quelques années, cela aurait pu arriver ; maintenant, je suis trop vieux et j’ai été trop malheureux. Je ne pourrais plus être amoureux, parce que mes illusions m’ont procuré bien des desengaños sur l’amour. J’allais être amoureux quand je suis parti pour l’Espagne. C’est une des belles actions de ma vie. La personne qui a causé mon voyage n’en a jamais rien su. Si j’étais resté, j’aurais peut-être fait une grande sottise : celle d’offrir à une femme digne de tout le bonheur dont on peut jouir sur terre, de lui offrir, dis-je, en échange de la perte de toutes les choses qui lui étaient chères, une tendresse que je sentais moi-même très-inférieure au sacrifice qu’elle aurait peut-être fait. Vous vous rappelez ma morale : « L’amour fait tout excuser, mais il faut être bien sûr qu’il y a de l’amour. » Soyez persuadée que ce précepte-là est plus rigoureux que ceux de vos méthodistes amis. Conclusion : je serai charmé de vous voir. Peut-être ferez-vous l’acquisition d’un véritable ami, et