Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 1,1874.djvu/70

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donne l’ordre. J’ai fait, pendant cette retraite, les réflexions les plus tristes du monde, sur moi, sur mon avenir, sur mes amis, etc. Si j’avais eu l’esprit d’attendre votre lettre, elle aurait donné une tout autre tournure à mes idées. « J’aurais emporté du bonheur pour une semaine au moins. » J’admire beaucoup votre descente chez ce brave M. V… Votre courage me plaît singulièrement. Je ne vous aurais jamais crue capable d’un tel capricho, et je vous en aime encore davantage. Il est vrai que le souvenir de vos splendid black eyes est peut-être pour quelque chose dans mon admiration. Pourtant, vieux comme je suis, je suis presque insensible à la beauté. Je me dis que « cela ne gâte rien » ; mais je vous assure qu’en entendant dire par un homme très-difficile que vous étiez fort jolie, je n’ai pu me défendre d’un sentiment de tristesse. Voici pourquoi (d’abord persuadez-vous bien que je ne suis pas le moins du monde amoureux de vous) : je suis horriblement jaloux, jaloux de mes amis, et je m’afflige en pensant que votre beauté vous expose aux soins et aux attentions d’un tas de gens qui ne peuvent vous apprécier et qui ne