Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 2,1874.djvu/193

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J’ai ici la compagnie et le voisinage de M. Cousin, qui est venu s’y guérir d’une laryngite, et qui parle comme une pie borgne, mange comme un ogre et s’étonne de ne pas guérir sous ce beau ciel qu’il voit pour la première fois. Il est, d’ailleurs, fort amusant, car il a cette qualité de faire de l’esprit pour tout le monde. Je crois que, lorsqu’il est seul avec son domestique, il cause avec lui comme avec la plus coquette duchesse orléaniste ou légitimiste. Les Cannais pur sang n’en reviennent pas, et vous jugez quels yeux ils font lorsqu’on leur dit que cet homme, qui parle de tout et bien de tout, a traduit Platon et est l’amant de madame de Longueville. Le seul inconvénient qu’il a, c’est de ne pas savoir parler sans s’arrêter. Pour un philosophe éclectique, c’est mal de ne pas avoir pris le bon côté de la secte des péripatéticiens.

Je ne fais pas grand’chose ici. J’étudie la botanique dans un livre et avec les herbes qui me tombent sous la main ; mais à chaque instant je maudis ma mauvaise vue. C’est une étude que j’aurais dû commencer il y a vingt ans, quand j’avais des yeux ; c’est, d’ailleurs, assez amusant, quoique