Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 2,1874.djvu/330

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Le beau temps est revenu depuis quelques jours, et je commence à respirer un peu moins mal. Je suis toujours à la merci du premier changement de temps, et il n’y a pas de baromètre que je ne surpasse par la sûreté de mes prédictions. Je suis fort effrayé de la politique ; je trouve dans le ton général des journaux et des orateurs quelque chose qui me rappelle 1848. Ce sont des colères étranges sans causes apparentes. Tous les nerfs sont tendus. M. Thiers, après avoir passé toute sa vie dans les luttes politiques, est pris d’un tremblement nerveux parce qu’un avocat marseillais dit des platitudes qui ne méritaient qu’un sourire. Le plus fâcheux, c’est ce M. Rouher, qui veut outherod Herod[1], et qui prononce le mot le plus antipolitique dont tout ministre devrait s’abstenir. Je suis mécontent de tout le monde, à commencer par Garibaldi, qui ne fait pas son métier. S’en aller à Caprera, après avoir fait tuer quelques centaines de niais, me paraît le comble de la honte pour l’espèce révolutionnaire et les noblemen anglais qui ont pris

  1. Expression anglaise : « surpasser Hérode en cruauté », c’est-à-dire « lutter de folie avec ses adversaires ».