Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 2,1874.djvu/334

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

instant des amis de quatre-vingts ans, leur mon vient toujours comme un coup de foudre. Voilà une des grandes misères de ceux qui vivent long temps, c’est de perdre tous les jours des amis et de se sentir un peu plus seuls.

Pour moi, je croîs en mélancolie et en humeur noire. Je n’ai pas encore pu m’accoutumer à souffrir et je m’en irrite, ce qui me donne deux maux au lieu d’un. Je pense rester ici au moins jusqu’à la fin du mois, en sorte que j’ai quelque espoir de vous retrouver à Paris. Je suis charmé que ma tartine sur Pouchkine ne vous ait pas trop ennuyée. Ce qu’il y a de beau, c’est que je l’ai écrite sans avoir les œuvres de Pouchkine avec moi. Ce que j’ai cité, ce sont des vers que j’avais appris par cœur dans le temps de ma grande ferveur russe. Il y a ici beaucoup de Russes, et j’avais chargé un de mes amis de m’emprunter le volume des poésies détachées, s’il y en avait dans la colonie moscovite. Il s’est adressé à une très-jolie femme qui, au lieu de vers, m’a envoyé un gros morceau de poisson du Volga, et deux oiseaux du même pays, tout cela cuit à quelques mètres du pôle. C’était assez bon.