Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 2,1874.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petit homard, gros comme une sauterelle, qui a une queue sans écailles. Il prend la coquille qui convient à sa queue, l’y fourre et se promène ainsi au bord de la mer. Hier, j’en ai trouvé un dont j’ai cassé la coquille très-proprement sans écraser l’animal, puis je l’ai mis dans un plat d’eau de mer. Il y faisait la plus piteuse mine. Un moment après, j’ai mis une coquille vide dans le plat. La petite bête s’en est approchée, a tourné autour, puis a levé une patte en l’air, évidemment pour mesurer la hauteur de la coquille. Après avoir médité une demi-minute, il a mis une de ses pinces dans la coquille pour s’assurer qu’elle était bien vide. Alors, il l’a saisie avec ses deux pattes de devant et a fait en l’air une culbute de façon que la coquille reçût sa queue… Elle y est entrée. Aussitôt il s’est promené dans le plat, de l’air assuré d’un homme qui sort d’un magasin de confection avec un habit neuf. J’ai rarement vu des animaux faire un raisonnement aussi évident que celui-ci. — Vous comprenez bien que je me livre tout entier à l’étude de la nature. Outre l’observation des bêtes (j’aurai aussi l’histoire d’une chèvre à vous