Page:Mérimée - Carmen.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

quant pour elle, c’est que, si elle s’était tuée, elle y aurait gagné de ne pas mourir de la poitrine ; car elle est poitrinaire, je lui en fais mon billet. Je ne l’ai pas auscultée, mais le facies ne me trompe jamais. Être si pressée, quand on n’a qu’à se laisser faire !

— Vous la verrez demain, docteur, n’est-ce pas ?

— Il le faudra bien, si vous le voulez. Je lui ai promis déjà que vous feriez quelque chose pour elle. Le plus simple, ce serait de l’envoyer à l’hôpital… On lui fournira gratis un appareil pour la réduction de sa jambe… Mais, au mot d’hôpital, elle crie qu’on l’achève ; toutes les commères font chorus. Cependant, quand on n’a pas le sou…

— Je ferai les petites dépenses qu’il faudra, docteur… Tenez, ce mot d’hôpital m’effraye aussi, malgré moi, comme les commères dont vous parlez. D’ailleurs, la transporter dans un hôpital, maintenant qu’elle est dans cet horrible état, ce serait la tuer.

— Préjugé ! pur préjugé des gens du monde ! On n’est nulle part aussi bien qu’à l’hôpital. Quand je serai malade pour tout de bon, moi, c’est à l’hôpital qu’on me portera. C’est de là que je veux m’embarquer dans la barque à Charon, et je ferai cadeau de mon corps aux élèves… dans trente ou quarante ans d’ici, s’entend.