Page:Mérimée - Carmen.djvu/192

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que j’ai de mieux à faire. Je ne puis rester à Paris (il prononça ces mots avec une certaine violence) ; j’y suis malheureux, j’y ferais cent sottises… Je n’ai pas la force de résister… Mais nous en reparlerons ; je ne pars pas tout de suite… mais je partirai… Oh ! oui, il le faut ; j’en ai fait mon grand serment. — Savez-vous que depuis deux jours j’apprends le grec ? Ζωή μου σὰς ἁγαπῶ C’est une fort belle langue, n’est-ce pas ?

Madame de Piennes avait lu lord Byron et se rappela cette phrase grecque, refrain d’une de ses pièces fugitives. La traduction, comme vous savez, se trouve en note ; c’est : « Ma vie, je vous aime. » — Ce sont façons de parler obligeantes de ces pays-là. Madame de Piennes maudissait sa trop bonne mémoire ; elle se garda bien de demander ce que signifiait ce grec-là, et craignait seulement que sa physionomie ne montrât qu’elle avait compris. Max s’était approché du piano ; et ses doigts, tombant sur le clavier comme par hasard, formèrent quelques accords mélancoliques. Tout à coup il prit son chapeau ; et se tournant vers madame de Piennes, il lui demanda si elle comptait aller ce soir chez madame Darsenay.

— Je pense que oui, répondit-elle en hésitant un peu. Il lui serra la main, et sortit aussitôt, la laissant en proie