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Page:Mérimée - Carmen.djvu/340

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« — Et vous, monsieur ? vous êtes bien… comme cela… assesseur ?

« — Non, ma petite mère, répondit Tchitchikof en souriant. Je ne suis pas assesseur ; nous voyageons pour nos petites affaires.

« — Ah ! alors vous venez pour des achats ? Oh ! que je suis fâchée d’avoir vendu mon miel à des marchands, et si bon marché encore ! Je suis sûre qu’avec vous, nous nous serions bien arrangés.

« — Non pas. Je ne fais pas dans les miels.

« — Dans quoi donc ? Les chanvres peut-être. Ma foi, je n’en ai pas gros à cette heure. Un demi-poud en tout.

« — Non, petite maman ; je suis dans une autre partie. Dites-moi donc, il est bien mort du monde chez vous ?

« — Hélas ! mon petit père, dix-huit hommes, dit la vieille dame en soupirant. Et de si braves gens ! Tous gens de métier. C’est vrai qu’il m’est venu des enfants. Mais qu’est-ce que cela fait ?… On vous fait un compte… l’assesseur arrive. Faut payer, qu’il dit ; oui, payer pour les âmes. Un homme vous meurt. Bon, vous payez toujours comme s’il était vivant. Tenez, pas plus tard que la semaine passée, voilà mon maréchal qui se brûle. Un garçon si habile, et qui entendait la serrurerie encore !

« — Vous avez eu un incendie ?

« — Le bon Dieu nous en préserve ! Un incendie ! c’est encore pire. Il s’est brûlé, mon cher papa. C’est, en dedans de lui, je ne sais quoi qui s’est allumé. Il buvait toujours. Il est sorti de lui comme une petite flamme bleue… Et il se consumait, se consumait… Il noircissait comme un charbon… Un maréchal qui était si habile ! Et maintenant comment sortir de chez moi ?… Comment faire pour ferrer les chevaux ?

« — Que voulez-vous, ma petite mère ? dit Tchitchikof en soupirant. C’est la volonté de Dieu ! Il n’y a rien à dire