Page:Mérimée - Carmen.djvu/347

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

traits que l’auteur n’a éprouvé aucune difficulté à se faire jouer. En effet, le gouvernement, impuissant à réformer les abus, souffrant le premier de la corruption administrative, a dû accueillir un auxiliaire aussi utile que M. Gogol. Chez nous, où les fonctionnaires publics sont entourés d’une surveillance active et vigilante, et de plus incessamment observés par un juge terrible, qui est la presse, cette comédie ne serait qu’un libelle sans portée et sans application. Si elle a été accueillie par des applaudissements en Russie, il en faut conclure, je le crains, que le tableau qu’elle présente est d’une triste réalité. Là, M. Gogol a été le vengeur des abus. Peu importe l’arme qu’il a employée ; pourvu qu’il ait frappé fort et juste, le public a été satisfait. L’impression de cette pièce ne saurait être la même à Paris qu’à Moscou. Le lecteur français aura quelque peine à accepter la gaieté de l’auteur, gaieté un peu triste au fond, et il s’étonnera qu’il cherche à faire rire aux dépens de coquins qu’il faudrait traduire en cour d’assises. Le crime a beau être ridicule, c’est l’indignation qu’il excite chez tout honnête homme, et je ne sais si c’est le sentiment qu’un auteur comique doit chercher à exciter. D’un autre côté, il faut penser qu’un écrivain n’a d’autre arme que sa plume, et M. Gogol s’est trouvé