« Khlestakof, s’enhardissant. — Le ministre me connaît… Je n’irai pas !… Non, parbleu ! vous ne me faites pas peur avec votre gouvernement.
« Le gouverneur. — De grâce, monsieur, ne me perdez pas ! J’ai une femme et des enfants !
« Khlestakof. — Je m’en moque pas mal ! Voyez la belle raison : parce qu’il a une femme et des enfants, il faut que j’aille en prison !
« Le gouverneur. — Manque d’expérience de ma part, monsieur, voilà tout. Et la place rapporte si peu ! Les appointements ne payent pas le thé et le sucre. Les profits, s’il y en a, vraies misères ! de petits cadeaux pour la table, et une couple d’habits… Quant à la soi-disant femme de sous-officier qui faisait le commerce, et que j’aurais fait fouetter, c’est une calomnie ! Devant Dieu, monsieur, c’est une calomnie ! C’est une invention de mes ennemis, qui ne respirent que ma perte.
« Khlestakof, étonné. — Je ne sais pas pourquoi vous me parlez de vos ennemis et de la femme de ce sous-officier. Je ne la connais pas, je ne me soucie pas de ses affaires ; mais vous ne vous aviseriez pas apparemment de me faire fouetter, moi… hein ?… Je payerai plus tard… quand j’aurai de l’argent. Maintenant je n’en ai pas ; je me trouve par hasard sans un kopek.
« Le gouverneur. — Si vous aviez besoin d’argent comme de toute autre chose, veuillez disposer de moi, monsieur… Mon devoir est d’aider les voyageurs.
« Khlestakof. — Vous auriez l’obligeance de m’en prêter ?… je vous le rendrai tout de suite. Il ne me faudrait que deux cents roubles pour payer l’hôtel et retourner chez moi. Une fois chez moi, je vous renverrai aussitôt votre argent.
« Le gouverneur, lui donnant des billets. — Mon Dieu, monsieur, je suis trop heureux de pouvoir vous les offrir.