Page:Mérimée - Carmen.djvu/41

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phrases dans la langue mystérieuse dont elle s’était déjà servie devant moi. Le mot de payllo, souvent répété, était le seul mot que je comprisse. Je savais que les bohémiens désignent ainsi tout homme étranger à leur race. Supposant qu’il s’agissait de moi, je m’attendais à une explication délicate ; déjà j’avais la main sur le pied d’un des tabourets, et je syllogisais à part moi pour deviner le moment précis où il conviendrait de le jeter à la tête de l’intrus. Celui-ci repoussa rudement la bohémienne, et s’avança vers moi ; puis reculant d’un pas :

— Ah ! monsieur, dit-il, c’est vous !

Je le regardai à mon tour, et reconnus mon ami don José. En ce moment, je regrettais un peu de ne pas l’avoir laissé pendre.

— Eh ! c’est vous, mon brave ! m’écriai-je en riant le moins jaune que je pus ; vous avez interrompu mademoiselle au moment où elle m’annonçait des choses bien intéressantes.

— Toujours la même ! Ça finira, dit-il entre ses dents, attachant sur elle un regard farouche.

Cependant la bohémienne continuait à lui parler dans sa langue. Elle s’animait par degrés. Son œil s’injectait de sang et devenait terrible, ses traits se contractaient, elle frappait du pied. Il me sembla qu’elle le pressait